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Le Cadenas indien

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Message  RipperReed Jeu 21 Avr 2016 - 18:10

Déjà trente ans de carrière littéraire pour Paul Halter. Et quelle carrière ! Mais le Dr Twist se fait trop rare . Je me suis permis d'écrire cette petite nouvelle, comme un hommage. En espérant pouvoir bien vite relire une histoire originale de mon détective préféré!

Bonne lecture.

RipperReed

Messages : 237
Date d'inscription : 31/01/2013

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Le Cadenas indien Empty Re: Le Cadenas indien

Message  RipperReed Jeu 21 Avr 2016 - 18:11

Le Cadenas indien

-Une journée magnifique n’est-ce pas?
La voix tonitruante de l’inspecteur Doll perturba à peine l’intense félicité du jardin. Un soleil de plomb écrasait le paysage champêtre qui encerclait le cottage du Dr Alan. Allongé sur une chaise longue, ce dernier esquissa un sourire en voyant arriver son ami d’un pas énergique.
-Comme vous le voyez, inspecteur, je pratique la seul activité que cette chaleur suffocante m’autorise. Une bonne sieste à l’ombre de ma tonnelle.
Alan était particulièrement fier de son jardin. Un décor bucolique idéal pour lui qui n’avait plus le courage de voyager dans des contrées lointaines pour ses vacances d’été. Il avait acheté cette maison de campagne à Linderwood deux ans plus tôt. Il était tombé amoureux de ce petit coin de paradis, perdu à une heure à peine de Londres. Et cela pourtant dans des circonstances tragiques. Qui aurait cru que ce paisible village ait pu abriter le fameux « Tueur de la tour de Londres » qui avait défrayé la chronique? C’est lors de cette enquête brillante qu’il avait fait la connaissance de l’inspecteur Doll, aimable quinquagénaire au visage rubicond et à la silhouette massive.
-Malheureusement pour moi, soupira ce dernier, la chaleur ne fatigue pas les cinglés. Au contraire, elle semble même les rendre plus actifs.
Le sourcil de Alan se souleva. Il passa une main dans sa chevelure rousse rebelle.
-Vous m’intriguez inspecteur? Une nouvelle affaire sur les bras?
-Affaire? Je ne sais pas si on peut appeler ainsi cette histoire de fou. C’est à y perdre son latin.
-Dites m’en plus.
Le policier chassa les perles de sueur qui tapissaient son front d’un revers de main.
-Pour que vous compreniez, il faut que je m’assure que vous connaissiez bien une des plus fameuses histoires locales :  l’ « Ile au trésor » de Owen Davenport et Achille Bow.
Evidemment, Alan était au courant de cette histoire qui avait tout d’un conte pour enfant. Sa notoriété avait largement traversé les frontières de Linderwood et s’était propagée dans tout le pays.
Owen et Achille étaient à l’époque deux gamins du village, passionnés par les romans d’aventures. Inséparables, ils dévoraient les bouquins évoquant les voyages exotiques, les pirates, les chasses aux trésors…et bien sûr, le plus fameux d’entre eux: l’Ile au Trésor de R.L. Stevenson.
Une passion commune à cet âge me direz-vous. Mais chez ces deux gamins, elle virait à l’obsession. Surtout pour Owen, considéré par tous comme le leader charismatique du duo.
Personne donc à Linderwood n’avait vraiment été étonné par la découverte des deux compères, quelques semaines avant leur majorité. Ils clamaient avoir acheté dans une brocante une vieille malle contenant une carte au trésor. Un trésor de pirates bien entendu, enterré sur une île perdue du Pacifique. Bien sûr, ils refusèrent de montrer le document, arguant qu’il était hors de question de partager leur découverte.
Leur décision était prise: leur majorité acquise, ils partiraient à l’aventure, à la quête du trésor…Tout le monde se moqua d’eux, et on leur prédit un retour rapide, la queue entre les jambes.
Ils mirent leur plan à exécution. Mais contre toute attente, ne revinrent pas dans les semaines suivant leur départ. Les mois se succédèrent. Puis les années. Et plus aucune nouvelle d’Owen et Achille. Si bien que tous au village finirent par les croire disparus au cour de leur périple.
Douze ans! Douze longues années plus tard, ils réapparurent! Et quelle victoire pour eux. Ils affirmèrent haut et fort avoir percé le mystère de la carte après de multiples péripéties qu’ils racontaient à qui voulait les entendre. Des aventures rocambolesques, dignes des romans qu’ils dévoraient gamins. Plusieurs fois ils avaient échappé à la mort. Tempêtes, cannibales, voleurs…rien ne leur fut épargné. Mais au bout du compte, ils avaient mis la main sur un coffre rempli d’or, de perles, de bijoux…
Et cette fois ci, les septiques durent s’incliner! Les deux amis menaient grand train. Ils étaient riches comme crésus. Ils achetèrent chacun une somptueuse villa dans les environs, et semblaient bien décidés à vivre de leur rente.
La nouvelle de leur aventure se propagea rapidement. Des journalistes tentèrent de leur soutirer des informations, afin de vérifier leurs dires. Mais les deux amis préféraient rester flous sur les détails factuels, afin selon eux de ne pas compromettre certaines personnes.
Cinq années s’étaient écoulées depuis lors, et Owen et Achille semblaient couler des jours heureux à Linderwood, après avoir fait un beau voyage…
-Je n’ai jamais eu l’honneur de les rencontrer depuis que je séjourne ici, expliqua Alan. Pourtant ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Leur histoire est fascinante. Et dans qu’elle affaire sont-ils impliqués?
Doll se gratta le menton:
-C’est tellement étrange…Si vous voulez bien, je préfèrerais que ce soit les principaux témoins qui vous la raconte. Vous connaissez le pub le « Cygne Noir », au centre du village. C’est là-bas que s’est joué le premier acte. Le patron, Peter Simon, sera enchanté de tout vous expliquer…Et une bière bien fraîche ne nous fera pas de mal par cette chaleur!

                                                        *

Peter Simon ressemblait à son établissement:  rustique et chaleureux. Des favoris fournis encadraient un visage rugueux. De sa main potelée, il posa sur le comptoir deux pintes de bière ruisselantes de mousse.
L’établissement était pratiquement désert en ce milieu d’après-midi. Du coin de l’oeil, Alan observait les poutres noircies du plafond. Les fenêtres opaques filtraient une lumière anémique.
-Il est arrivé comme un ouragan, raconta Simon en désignant l’entrée principale du doigt. La porte s’est écartée brutalement, comme poussée par une rafale de vent.
La scène semblait encore se refléter sur l’oeil vitreux du patron. Un solide gaillard, qui de toute évidence en avait vu d’autres. Et qui pourtant paraissait encore impressionné par les évènements qu’il avait vécus hier soir, aux alentours de 22 heures.
-il y avait beaucoup de monde dans le pub ? s’enquit Doll.
-Une dizaine de personnes. Les habitués. Et puis Achille Bow, qui sirotait tranquillement sa bière, tout seul, assis à la table dans le coin, au fond.
Achille Bow. L’un des deux comparses de l’affaire de l’ « Ile au Trésor ».
-Achille fait-il aussi parti des habitués? demanda Alan à son tour.
Simon hésita avant de répondre.
-Depuis quelques temps…on peut dire que oui. Il vient tous les soirs. C’est toujours le même rituel. Il reste seul, ne bavarde avec personne. Je dois dire que je le trouve sombre depuis quelques mois. Comme s’il ruminait des idées noires.
-Revenons-en à nos moutons, coupa Doll, qui semblait soucieux de ne pas faire perdre de temps à l’illustre criminologiste. L’homme qui est entré dans le pub de manière aussi théâtrale, est-ce que toi ou quelqu’un d’autre le connaissait?
Simon secoua la tête:
-Non. Je suis catégorique. Personne ne l’a jamais vu traîner ses guêtres par ici.
-A quoi ressemblait-il?
-A un dément! lâcha Simon sans même réfléchir. Il avait tout d’un cinglé échappé d’un asile. Un visage maigre…presque squelettique. Des yeux noirs et fous plantés dans les orbites. Une chevelure hirsute. Il portait un trench-coat élimé qui le faisait ressembler à un épouvantail.
-Et qu’a-t’il fait?
-Il a balayé l’assemblée du regard. Un regard inquiétant, soupçonneux. Tout le monde était figé par la surprise, vous pensez. Et d’un coup, son attention s’est braquée sur Achille. Le pauvre, il avait l’air terrorisé quand il a vu le dément s’approcher de lui d’un air furieux.
Alan s’immisça dans le récit:
-Avez-vous eu le sentiment qu’Achille connaissait déjà l’intrus?
Encore une fois, le patron du pub hésita:
-Difficile à dire. Je sais pas. J’aurais tendance à dire que non. Mais c’est bien juste une impression…En tout cas, Achille était livide. Pétrifié par la peur. L’autre, avec ses airs de croque mort s’est planté devant lui. Et d’une voix étrangement puissante, il a commencé à lui balancer une diatribe, du genre « Voleur! Voleur de trésor! Toi et ton ami, vous nous avez volé notre trésor. Et tu sais ce qu’il en coûte de voler des pirates ? Pas vrai que tu le sais gredin? ».Et là, il s’est arrêté d’un coup de parler pour saisir la main d’Achille et pour lui plaquer quelque chose dans la paume.
-Mais quoi? Que lui a-t’il donc glissé dans la main?
-Un morceau d’étoffe. Un morceau d’étoffe noire!

                                                   *

-Qu’en pensez-vous? finit par lâcher Doll d’un air défait et inquiet.
Le Dr Alan et le policier avançaient d’un pas rapide sur le chemin poussiéreux. Les rayons du soleil tapaient comme un marteau sur une enclume, accusant leurs traits livides.
-Rien de bon, je dois le dire, avoua le criminologiste. Bien sûr, les analogies avec l’ « Ile au trésor » - je parle du roman de Stevenson cette fois- je les ai comprises comme vous. Vous prenez Achille et vous le remplacez par Billy Bones, le vieux loup de mer venu se cacher dans une auberge avant d’être rattrapé par Pew, le pirate aveugle de la bande de Flint. Cette fois, le rôle est tenu par ce mystérieux inconnu débarquant dans le pub de Linderwood. Et le morceau d’étoffe qu’il tend à Achille n’est autre que la marque noire, annonciatrice de mort imminente chez les pirates.
Doll souffla fort par le nez. Ses pas lourds soulevaient des nuages de poussière.
-Ensuite, expliqua le policier, le dément a tourné les talons et a quitté le pub comme il est venu. Sans dire un mot. Plantant là tous les occupants du bar, qui pensaient avoir été victime d’un mauvais rêve.
-Surtout le principal concerné, remarqua Alan. Achille Bow, qui, d’une certaine manière, venait d’être menacé de mort. Comment a-t’il réagi ?
Doll leva un index en l’air, pour lui indiquer de patienter.
-La suite va vous être narrée par le prochain témoin. D’ailleurs nous arrivons déjà.
Une rangée de tilleuls aux feuilles argentées laissaient apercevoir un élégant bungalow de style colonial. L’homme qui attendait le Dr Alan et l’inspecteur Doll campé sur sa terrasse avait une allure martiale et un physique athlétique pour ses soixante-dix ans. Des moustaches en croc surmontaient une moue sarcastique. Un regard pénétrant laissait présager une vivacité d’esprit peu commune.
Doll fit les présentations:
-Le colonel Arthur Gray. Ancien officier de l’armée des Indes.
Le militaire à la retraite leur offrit une citronnade sous la pergola odorante.
-Si vous voulez bien raconter au Dr Alan les événements que vous avez vécus hier, colonel.
Ce dernier secoua la tête, dépité.
-Vous savez qu’il m’est arrivé d’être le témoins d’épisodes prodigieux, là-bas, aux Indes, terre propice au merveilleux. Mais là…j’en perds mon latin. J’ai beau retourner le problème dans ma tête, impossible de trouver une explication rationnelle.
-Vous étiez en train de boire un verre avec Owen Davenport aux alentours de 23 heures, c’est bien cela?
-Oui confirma le militaire. Owen est mon voisin. On peut d’ailleurs apercevoir le toit de sa villa d’ici. Il nous arrive fréquemment de passer tous les deux une soirée autour d’une bouteille de Cognac pour nous raconter des anecdotes de nos vies antérieures, bien plus palpitantes que celles que nous vivons actuellement. Owen est beaucoup plus jeune que moi, mais il est atteint par le même syndrome que le mien: la nostalgie de nos existences aventureuses. Revivre nos souvenirs nous fait du bien.
Il avala une gorgée de citronnade, comme pour mieux se concentrer:
-J’étais donc arrivé chez Owen aux alentours de 21 heures. Notre discussion était animée et joyeuse, quand soudain quelqu’un sonna à la porte d’entrée. C’était le comparse d’Owen, Achille Bow. Entre parenthèse, un garçon un peu sombre et renfermé, avec lequel j’entretien beaucoup moins de rapports qu’avec mon voisin.
»Achille était décomposé et affolé. Il semblait avoir aperçu Belzébuth en personne. Il nous raconta ce qui était arrivé au Cygne Noir quelques minutes auparavant. Il ne nous fallut pas longtemps à Owen et à mois pour parvenir à la même conclusion: l’intrus du « Cygne Noir » était un fou. Probablement échappé d’un asile depuis peu. Vous savez que les aventures d’Owen et Achille ont été terriblement médiatisées. Les journalistes ont fait le rapprochement entre leur histoire et le bouquin de Stevenson. Il n’en faut pas plus pour perturber un esprit dérangé. Le pauvre homme avait dû se prendre pour un des flibustiers de la bande de Flint venu réclamer son dû. Un phénomène courant chez ces esprits faibles. Il lui a été facile de se renseigner puis de débarquer au pub où Achille avait ses habitudes.
-Et qu’avez-vous décidé de faire?
-D’abord, expliqua le colonel Gray, nous avons demandé à Achille de rentrer chez lui et de se barricader. Le pauvre homme était trop affolé pour nous être d’une aide quelconque. Achille obtempéra sans protester. Pour la suite, Owen et moi partagions la même analyse. Il nous fallait retourner ensemble au village, tenter de mettre la main sur le malheureux dément afin de l’enfermer puis de prévenir le médecin pour la suite de la prise en charge. Selon nous, l’affaire n’était pas du ressort de la police, mais bien du corps médical.
-Une attitude contestable, ne put s’empêcher de morigéner l’inspecteur Doll. Vous avez donc mis votre plan en pratique…
-Exactement. Sans grande difficulté dans un premier temps. Owen et moi sommes retournés à Linderwood en voiture. Le dément ne fut pas long à trouver. Il se tenait assis sur la bordure de la fontaine du village, bien calmement. Nous lui avons demandé de nous suivre, et il n’a opposé aucune résistance. Je vous le dis, son attitude était vraiment celle d’un fou. Il ne cessait de ricaner, de marmonner quelques formules incompréhensibles…Pour nous, il était clair qu’il s’était échappé d’un asile!
-Vous êtes ensuite retournés chez Owen?
-Oui. Le dément n’avait aucun papier d’identité sur lui. Owen a donc proposé qu’on l’enferme dans sa bibliothèque, le temps d’aller chercher le Dr Lee, médecin du village. Cette bibliothèque nous semblait le lieu idéal pour l’ « interner » provisoirement. Elle possède pour toutes ouvertures une solide porte en chêne ainsi qu’une unique fenêtre que l’on pouvait cloisonner grâce à des volets. Ces volets comportent sur la face intérieure de chacun des deux battants un solide anneau . Avec un simple cadenas, il était facile de les assujettir.
»Owen m’a donc demandé de faire un tour chez moi afin de chercher un cadenas. En effet, je lui avais raconté par le passé avoir ramené des Indes une pièce exceptionnelle. Un cadenas magnifiquement ouvragé, d’une solidité remarquable. Pour le forcer ou l’ouvrir, il faudrait à un spécialiste, avec des instruments adaptés, plusieurs dizaines de minutes. Pour la suite de mon exposé, je voudrais que les choses soient claires: il n’existe qu’un seul exemplaire très sophistiqué de la clé servant à l’ouvrir. Et je suis la seule personne au monde à savoir où elle était cachée, j’en suis parfaitement sûr.
»Je suis donc parti chercher le cadenas et la clé, cela ne m’a pas pris plus de dix minutes. Nous avons assujetti les volets et fermé la fenêtre. Avant de quitter la pièce, je me suis assuré une dernière fois qu’elle ne comportait aucun outillage qui aurait permis à notre « prisonnier » de se faire la malle pendant notre absence, mais ce n’était pas le cas.
»Le dément ne protestait toujours pas. Il était d’une placidité étrange, et ne cessait de ricaner…Jamais Owen ou moi n’aurions pu imaginer ce qui allait suivre.
-C’est-à-dire?
-Nous avons fermé la porte derrière nous. Nous l’avons verrouillée grâce à la clé. A peine trente secondes plus tard, nous avons entendu un vacarme de tous les diables en provenance de la bibliothèque.
»En hommes d’action que nous sommes, nous n’avons pas hésité une seconde. Nous avons déverrouillé la porte. Mais le fou l’avait entravée en déplaçant une commode pour la positionner devant le battant. Ce qui nous a obligés à démultiplier nos efforts pour l’écarter, et ce qui nous a fait perdre une bonne minute. Et une fois à l’intérieur de la pièce, qu’elle ne fut pas notre surprise!
Le visage du colonel était déformé par l’effroi. Il se racla la gorge avant de poursuivre:
-Un souffle d’air frais nous accueillit. En effet, le fou s’était échappé! La fenêtre était grande ouverte. Et surtout, les deux battants des volets étaient écartés! Ils étaient parfaitement intacts, personne ne les avaient fracturés. Quant au cadenas censé les maintenir…il s’était tout bonnement volatilisé!

                                                    *

-C’était incroyable!
Le Dr Alan et Peter Doll étaient arrivés depuis dix minutes à peine chez Owen Davenport, le voisin du colonel.
Owen faisait les cent pas dans son salon, nerveux, mains jointes dans le dos. L’inquiétude qui se lisait sur ses traits altérait à peine le caractère poupin de son visage. Des joues rondes et un brushing parfait cadraient mal avec l’image d’aventurier qu’Alan avait de lui.
-Dès que nous avons quitté la pièce, il a poussé un meuble pour nous ralentir, expliqua Owen. Mais comprendre ce qu’il s’est passé ensuite dans cette pièce? Les volets étaient intacts, il ne les a pas esquintés pour les écarter. Et le cadenas avait tout bonnement disparu! Qu’il l’ait fracturé ou ouvert, le problème reste le même: il n’avait pas le matériel adéquate, ni sur lui ni dans la pièce. Et de toute manière, sans la clé que le colonel portait sur lui, cette manoeuvre aurait dû prendre bien plus de temps que la petite minute qu’il a eu pour agir.
Il lança un regard aux abois en direction du policier:
-Vous avez réussi à mettre la main sur le fou?
-Non malheureusement, avoua-t’il. En même temps, je ne sais pas s’il faut continuer à le traiter de fou. Pour réaliser un tel exploit, il fallait sans doute avoir toute sa tête.
-Vous avez raison, concéda Owen, meurtri. Le colonel et moi nous sommes bien fourvoyés. avec nos hypothèses hâtives. Et dire que nous avons peut-être mis en danger la vie d’Achille en agissant de la sorte.
-Qu’avez vous fait après avoir constaté qu’il avait disparu? s’enquit le Dr Alan.
Owen haussa les épaules:
-La chose la plus urgente à faire: nous nous sommes précipités à la villa d’Achille, qui se trouve à une dizaine de minutes d’ici en voiture. Mais là-bas, nous avons trouvé porte close. Il n’y avait personne. Fous d’inquiétude, nous nous sommes même permis de fracturer une porte pour pénétrer dans la maison. Mais nous avons fait chou blanc. D’une certaine manière, j’étais presque soulagé de ne pas retrouver son corps.
-Et depuis hier soir, vous n’avez eu aucune nouvelle de lui?
-Non bien sûr, s’énerva Owen. Il ne me reste plus qu’à compter sur l’efficacité des hommes de l’inspecteur.
Doll secoua la tête, dépité.
-La tâche n’est pas facile pour eux: ils doivent non seulement retrouver Achille mais également partir à la chasse du fou dangereux qui circule dans les environs…
Alan vit Owen se pétrifier.
-A la chasse…bégaya-t’il, comme si on venait de lui asséner un coup de massue.
-Q’avez-vous? s’enquit le criminologiste. On a l’impression que quelque chose vient de vous revenir en mémoire.
-La chasse, éructa le propriétaire des lieux en se cognant le front du plat de la main. Mais comment ai-je pu oublier? Je suis totalement stupide.
-Mais pourquoi donc? insista le policier.
-Il y a un an environ, Achille a acheté un vieux pavillon de chasse en lisière de la forêt voisine. Il l’a fait entièrement rénover, mais comme il n’y séjourne qu’épisodiquement, je n’y ai pas du tout songé. Pour se cacher, sans doute qu’il aura choisi cet endroit méconnu plutôt que sa villa!

                                                    *

La Talbot avait fait crisser ses pneus sur les routes étroites de campagne pour conduire les trois hommes en moins de vingt minutes devant le pavillon de chasse.
Alan, l’inspecteur Doll et Owen Davenport descendirent de la voiture pour contempler le petit bâtiment en briques rouges se découpant sur un écrin de verdure.
Il s’approchèrent des fenêtres à meneaux qui perçaient la façade sud. Personne ne fut réellement sursis par le spectacle qui s’offrit à eux: un corps gisait, inerte, sur le tapis d’un salon confortable.
En prenant les précautions nécessaires à la suite de l’enquête, inspecteur Doll fractura un carreau de fenêtre pour pénétrer dans la pièce.
Comme ils s’y attendaient, il était déjà trop tard. Achille Bow était mort, visiblement tué d’une balle en plein coeur. L’arme gisait un peu plus loin. Le suicide était de toute évidence une hypothèse à exclure.
Les rayons du soleil cognaient les vitres, faisant régner dans le salon une chaleur d’étuve.Les conclusions de la première inspection du policier avaient de quoi donner le tournis: toutes les fenêtres étaient fermées de l’intérieur. Le mur est était percé par une cheminée, mais dont l ‘étroit conduit était cloisonné par une solide grille. Restait l’unique porte de la pièce, fermée à double tour par la clé qui était enfoncée dans la serrure, mais à l’intérieur du salon. Et par le verrou qui était poussé.
Etant donné qu’aucune personne ne se cachait à l’intérieur de la pièce, il fallait se rendre à l’évidence: le fou meurtrier qui s’était évadé de la bibliothèque de manière mystérieuse la veille au soir avait également trouvé le moyen de traverser les murs!

                                                    *

Dépité et l’oeil mauvais, l’inspecteur Doll sirotait café sur café en contemplant le Dr Alan ingurgiter la troisième part de la tourte confectionnée par l’épouse du policier.
-Succulent, absolument succulent. Je vais encore féliciter votre femme.Je crois que de ma vie, je n’ai jamais rien dégusté de meilleur.
Après vingt-quatre heures d’enquête, ce repas de travail virait au fiasco. Le Dr Alan n’avait pas encore émis la plus petite hypothèse pour les sortir de cet imbroglio, et il commençait à douter de l’apport du criminologiste dans cette affaire.
Il tenta encore une fois de le sortir de son obsession culinaire:
-Donc comme je vous l’ai dit, nos premières conclusions ont été confirmées par les constations de mes hommes. Les fenêtres du salon étaient toutes fermées de l’intérieur, aucune trace de trucage n’a été retrouvée. Le conduit de la cheminée est trop étroit pour laisser passer un homme, même de très petite taille. Et de toute manière, la grille était parfaitement fixée.
Pour ce qui est de cette solide porte en chêne, elle présente une double impossibilité pour ce qui serait de la sceller de l’extérieur: elle était bien fermée à double tour, la serrure n’était pas truquée et aucune trace n’indique une manipulation depuis l’extérieur, avec une pince par exemple. La clé était parfaitement enfoncée dans son logement.
»Pour ce qui est du verrou, le problème est aussi épineux. C’est un verrou simple, aisément manipulable. Il est constitué d’une tige amovible fixée à la chambranle de la porte à l ‘aide d’une pièce pivotante. Ouvert, la tige est position verticale. Pour fermer le verrou, il faut faire pivoter la tige d’un quart de tour vers la droite et le bas pour la positionner horizontalement sur un simple crochet enfoncé dans le battant de la porte.
Détail important, le verrou est neuf et bien huilé, la tige pivote très facilement. Ce qui m’a fait évoquer une solution pour le fermer depuis l’extérieur de la pièce. En effet comme vous l’avez constaté hier, il y a avait dans le salon une console en bois placée tout contre la chambranle de la porte. Or vous avez dû voir que la tablette de cette console se situait exactement à la hauteur du pivot du verrou. J’ai donc imaginé l’assassin d’Achille passer une cordelette autour d’un des pieds de la console, puis faire glisser la cordelette sous la porte. Une fois dehors, il lui aurait suffi de tirer sur les deux bouts de la cordelette pour décaler la console afin de percuter le pivot, entrainant la chute de la tige qui aurait basculé dans son logement. Après cela, il n’aurait eu qu’à tirer sur un des bouts de la cordelette pour la ramener à l’extérieur.
-Extrêmement ingénieux, constata le Dr Alan qui semblait sortir d’une profonde léthargie. Extrêmement…
-Malheureusement, le tempéra immédiatement le policier, le visage fripé, cette solution ne tient pas debout. J’ai bien sûr réalisé l’expérience, pour vérifier si cela fonctionnait. En opérant de la sorte, j’ai réussi à faire tomber la tige et à fermer le verrou, mais en décalant trop la console vers la droite pour que cela passe inaperçu. Or nous l’avons retrouvée plaquée contre la chambranle. Donc…je retombe dans la même impossibilité!
-Bigre! s’exclama Alan. Voilà un mystère qui ne cesse de s’obscurcir. Et je dois bien avouer que de mon côté, je n’ai pas la moindre piste  à vous offrir pour vous guider dans ces ténèbres. J’ai peur qu’il ne reste plus qu’une possibilité pour nous éclairer: retrouver le meurtrier d’Achille, toujours en fuite, afin qu’il nous explique son secret!
Le policier était dépité devant le défaitisme du criminologiste, qui décidément, lui paraissait bien âgé et usé.

                                                         *

Une nuit moite et étouffante s’était répandue sur Linderwood.
Dans son salon, Owen Davenport était tassé dans un fauteuil club. Nimbé par la lumière ambrée d’une lampe à pied. La porte-fenêtre ouverte en grand laissait pénétrer l’haleine embaumée du jardin.
La contemplation du cognac qu’il faisait tournoyer dans son verre semblait l’accaparer. Au point de lui faire ignorer la silhouette qui était en train de s’approcher, dehors, sur sa pelouse. Il sursauta quand celle-ci finit par émerger dans son champ visuel, campée dans l’embrasure de la fenêtre.
Owen trembla au point d’en laisser échapper son verre qui se brisa avec fracas sur le carrelage.
-Désolé Mr Davenport. Loin de moi l’idée de vous faire peur.
Owen plissa les yeux pour reconnaitre la silhouette étirée du Dr Alan.
-Je…je ne vous avais pas reconnu, s’excusa-t’il d’une voix blanche.
Alan fit quelques pas dans la pièce:
-Après tout, vous avez toutes les raisons d’être effrayé, Mr Davenport. Quoi de plus naturel?
-Comment cela? Je ne vous saisi pas.
-Et bien oui…avec ce fou furieux qui se promène dans les environs. Pourquoi ne s’en prendrait-il pas à vous après votre ami? Dans son esprit dément, vous avez vous aussi volé son trésor. Au même titre qu’Achille. Non?
Owen écarquilla les paupières.
-Euh…oui…vous avez sans doute raison.
Sans y être invité, Alan s’enfonça à son tour dans un des fauteuils. La lumière sculptait des ombres étranges sur son visage.
-Vous savez ce qui me turlupine le plus dans toute cette histoire?
Owen haussa les épaules dans un geste d’incompréhension.
-Non. Quoi?
-Le cadenas. Pourquoi est-il parti avec le cadenas?
-Je ne vous suis pas.
-Le dément qui a tué votre ami… il était enfermé dans la bibliothèque. Il s’en est échappé en sortant par la fenêtre. Donc en ouvrant d’une manière ou d’un autre le cadenas qui retenait les volets. Or, ce cadenas ne se trouvait plus sur place. Il avait disparu. Pourquoi s’embarrasser de ce cadenas dans sa fuite? C’est étrange, non?
-Oui..enfin…si il n’y a que ce détail qui vous intrigue dans tous ces mystères…
-Les détails, Mr Davenport, le Diable s’y cache, ne l’oubliez pas. C’est à partir de ce détail que j’ai pu résoudre une bonne partie des énigmes de cette histoire.
Le maitre des lieux se crispa insensiblement.
-Je me suis dit… si le cadenas n’est pas là, c’est qu’il y a une raison. Une raison qui pourrait bien expliquer le modus operandi de notre…assassin. Je vous rappelle le déroulement des faits: vous revenez chez vous avec le dément et le colonel. C’est vous qui choisissez la bibliothèque pour l’y enfermer, je ne me trompe pas? Vous étiez chez vous après tout. Vous fermez les volets, puis vous interpellez le colonel, en lui demandant de repartir chez lui pour chercher ce magnifique cadenas dont il vous avait déjà parlé. Le colonel n’a pas pris plus de dix minutes pour revenir, nous a-t’il dit. Mais dix minutes, c’était largement suffisant pour faire ce que vous vouliez.
Owen épongea son front ruisselant avec son mouchoir. Il était liquéfié.
-Vous délirez, Dr Alan.
-Attendez un peu la suite de mon histoire. Vous profitez de l’absence du colonel pour rouvrir les volets. Puis vous cherchez dans l’endroit de la maison où vous avez caché un objet que vous avez préparé: un panneau constitué par la réplique exacte des deux volets que vous veniez de fermer puis de rouvrir. Deux volets similaires , que vous avez pris la peine de réunir en cloutant sur leur face extérieure (la face qui donne sur l’extérieur de la maison une fois les volets fermés) deux tiges de bois de quelques centimètres de largeur. Une tige positionnée en haut, l’autre en bas. Ces tiges débordent de quelques centimètres de la largeur des volets, de chaque côté. Vous positionnez le panneau dans l’embrasure de la fenêtre. Et vous le faite tenir en faisant passer les morceaux saillants des tiges  dans l’interstice laissé libre par les gonds entre les « vrais » volets et le mur . Ainsi positionné, le panneau repose grâce aux tiges sur les gonds des « vrais » volets. Il est parfaitement encastré. Les « faux » volets occupent l’espace des « vrais » , de manière si remarquable que le colonel n’y voit que du feu en revenant. C’est lui qui va assujettir les « faux » volets à l’aide de son cadenas.
La suite est simple à imaginer. Une fois dehors, le pseudo- fou que vous avez engagé va déboiter le panneau en le manipulant jusqu’à dé sinsérer les extrémités des tiges de leur logement. Il ne lui reste plus qu’à s’enfuir par la fenêtre, en prenant soin de partir avec le panneau de bois…et son cadenas qui y était toujours attaché.
-Vous êtes complètement fou! hurla Owen.
-Fou? Vous voyez sans doute une autre explication que celle-ci? Moi pas. Mais laissez-moi poursuivre mon exposé. Quand Achille est venu vous voir hier soir, le colonel et vous, vous lui avez suggéré de rentrer chez lui et de s’y barricader. Et c’est en aparté, loin des oreilles du colonel, que vous lui avez glissé un autre conseil, n’est-ce pas? Vous lui avez dit qu’il serait beaucoup plus prudent d’aller au pavillon de chasse plutôt que chez lui. Je sais, là encore, pure supposition de ma part.
-Pourquoi vous vous acharnez sur moi, se plaignit l’aventurier au bord de la crise de nerf. La police a prouvé que personne n’avait pu matériellement tuer Achille. Vous me croyez capable d’un miracle?
-Un miracle? Non. Mais un petit stratagème astucieux, oui. Il était tout à fait possible de quitter le salon du pavillon après avoir tué Achille en laissant cette pièce hermétiquement close. Je ne sais pas si ma solution est la même que celle que vous avez employée, mais à mon avis avis elle ne doit pas en différer beaucoup. D’après moi , vous êtes sorti par la porte, tout bonnement.
-Impossible, protesta Owen. Elle était doublement verrouillée.
-Impossible? fit Alan. Ce n’est pas un mot qui convient à un aventurier tel que vous voyons. Prenons les choses par étapes:  la porte était fermée à double tour. Soit. Avec la clé enfoncée dans la serrure du côté intérieur de la pièce. Mais il vous a été facile de confectionner un double de cette clé auparavant, non? Laissez-moi vous décrire la clé, pour mieux vous faire comprendre. Elle est très classique, constituée d’un anneau qui se prolonge par la tige. Et, perpendiculaire à la tige, à un centimètre de son extrémité, le panneton ,c’est à dire la partie destinée à actionner le pê- ne. Il est très facile de fabriquer un petit cylindre creux en carton. Un cylindre d’un diamètre à peine supérieur à celui de la tige. Et d’une longueur de deux centimètres par exemple. Vous emmanchez le cylindre sur l’extrémité de la tige, jusqu’à ce qu’il vienne buter sur le panneton. Puis vous enfoncez cette clé dans la serrure, mais du côté extérieur au salon. Ensuite vous prenez la deuxième clé que vous enfoncez aussi dans la serrure, mais du côté intérieur. En jouant un petit peu, vous arrivez à enfoncer à son tour l’extrémité de la clé intérieure dans le cylindre creux (il reste un centimètre de libre) jusqu’à ce qu’il vienne buter à son tour contre le panneton. Vous prenez bien sûr garde de positionner la deuxième clé dans le même axe que la première, c’est à dire avec le panneton regardant vers le bas.
»Ainsi votre deuxième clé, à l’intérieur, est assujettie à la première. Mais il n’y a que l’extrémité de la tige qui est introduite dans la serrure. Le panneton perpendiculaire à la tige reste en dehors de la serrure. Il vous suffit ensuite de repousser la porte, puis de tourner la clé du côté extérieur pour verrouiller la porte à double tour. La clé intérieure assujettie à l’autre grâce au cylindre suivra le mouvement de rotation, sans le gêner. Une fois la porte fermée, vous retirez doucement la clé extérieure de la serrure. Et naturellement, la clé intérieure sera entrainée, jusqu’à être enfoncée complètement à son tour dans la serrure. Puis vous tirez d’un coup sec sur la clé extérieure. Là , deux solutions: soit le cylindre en carton reste accroché à la clé extérieure. Soit il reste accroché à l’extrémité de la clé intérieure, mais dans ce cas, il vous suffit d’une simple pince pour l’agripper et le retirer. Et voilà, le tour est joué: la porte est fermée à double tour, et la clé est enfoncée dans la serrure du côté intérieur. Et cela sans laisser aucune trace de manipulation sur la clé.
-Sortez de chez moi, cracha Owen, anéanti. Sortez!
-Ce n’est pas exactement ce que vous devriez dire, Mr Davenport. Vous devriez me répliquer que ce stratagème n’explique pas la fermeture du verrou. C’est exact. Mais deux détails m’ont aidé à y voir plus clair. D’abord, il faisait une chaleur de four à l’intérieur du salon. Ensuite, une constatation de mon ami l’inspecteur Doll, qui m’a fait remarquer que le verrou était neuf et bien huilé: la tige basculait très facilement. J’ai alors eu une réminiscence, liée à un jeu d’enfant. Sans doute l’avez-vous pratiqué vous aussi: vous alignez des dominos les uns à cotés des autres en les posant debout sur leur tranche, vous poussez le premier qui va ensuite entraîner les autres dans leur chute. Tout le monde a fait cela. J’ai alors pensé à des dominos éphémères, découpés dans un morceau de glace. Des parallélépipèdes de la même forme que des dominos, que vous disposez en arc de cercle sur la tablette de la console jouxtant la chambranle de la porte. Une tablette à la même hauteur que le pivot du verrou je vous le rappelle. Ceci réalisé, vous faites tomber le  premier domino, qui fait basculer les autres en cascade. Cela vous laisse le temps de sortir du salon et de refermer la porte derrière vous. Le dernier domino de la chaîne, situé au bord de la tablette, bascule alors dans le vide et vient percuter la tige du verrou en position verticale. La tige bascule et vient retomber dans son logement, le verrou est ainsi fermé.
»La chaleur va alors se charger d’effacer les indices en faisant fondre vos « dominos ». Quant à vous, vous êtes à l’extérieur du salon. Il vous suffit de tourner la clé de la porte que vous aviez préparée de la façon que j’ai déjà décrite.
»Le tour est joué.
A la fin de l’exposé du criminologiste, Owen, désincarné, tenta de chercher son regard.
-Pourquoi? demanda-t’il d’une voix blanche.
-Comment cela? Je ne vous comprends pas, Mr Davenport.
-Pourquoi m’expliquez vous tout cela , ici, dans mon salon, alors que c’est dans un commissariat de police que cela devrait être fait?
Alan haussa les épaules.
-Parce que j’ai besoin de savoir pourquoi vous avez assassiné votre ami, Mr Davenport. Cette question me taraude. J’ai bien une idée, mais elle me semble si tragique…Je déciderai, après avoir entendu votre version des faits, de ma conduite à votre égard. Est-ce que cet assassinat est lié à l’état sombre et dépressif d’Achille ces derniers temps?
Owen se carra dans son fauteuil. Il se massa lentement les tempes. Il semblait presque soulagé de pouvoir se confesser ainsi:
-Vous avez vu juste , Mr Alan. Ce sont bien les procédés que j’ai employés pour tuer Achille! Le « fou » qui a débarqué dans le pub et a disparu de la bibliothèque est en fait un acteur raté que j’ai trouvé à Londres. il est suffisamment impliqué et je l’ai payé suffisamment cher pour être à peu près certain d’avoir acheté son silence. Ce comparse de fortune s’en est d’ailleurs bien tiré. Je savais qu’Achille traînait tous les soirs dans ce pub. Je savais aussi qu’il serait tellement effrayé qu’il viendrait chez moi pour trouver protection. Je m’étais arrangé pour faire venir le colonel chez moi ce soir-là…
Pourquoi tuer Achille? Parce qu’il voulait trahir notre secret. Un secret trop lourd à porter, et qui le taraudait de plus en plus, au point de le faire déprimer.
Notre carte au trésor… n’était qu’une petite escroquerie, sans doute organisée par les brocanteurs chez qui nous l’avions achetée. Nous nous en sommes rapidement rendu compte, en partant à l’aventure. Mais que faire? Rentrer à Linderwood? Etre la risée de tout le monde? Impossible, nous avions notre amour propre. Nous avons bourlingué plusieurs années, avant de débarquer en Afrique du Sud. Là-bas, la chance nous a rapidement souri, nous avons fait fortune grâce à une mine de diamants. Mais le pays nous manquait. Alors nous avons imaginé une aventure factice, qui aurait eu pour résultat la découverte d’un trésor sur une île. Nous sommes rentrés à Linderwood et le  succès de notre histoire nous a dépassé, il a eu un impact énorme. Les journaux en ont parlée. Les enfants du pays se sont remis à croire aux contes de pirates, c’était merveilleux…comme si notre existence prenait un sens. Nous avions ré-enchanté le quotidien des  gens, d’une certaine manière. Je trouvais cela fabuleux…
Mais Achille ,lui , était rongé par ce mensonge aux proportions gigantesques. Il voulait vendre la mèche, il me l’avait confié. Je ne pouvais le laisser faire. Il aurait détruit cette magie que nous avions créée…J’ai décidé de l’assassiner. Mais en entourant son meurtre d’un aura de fantastique qui n’aurait fait qu’accroître le succès de la légende…
Owen avait terminé sa « confession ». Alan se leva alors lentement de son fauteuil. La mine grave et peinée. Il allait ressortir par la porte-fenêtre. Mais avant de franchir l’embrasure, il laissa échapper quelques mots, la voix nouée:
-C’était bien la raison que j’avais imaginée. C’est très dur pour moi, Owen. Vous êtes un meurtrier. Je devrais vous livrer à la police. Mais en faisant cela, je détruirais à mon tour l’esprit magique que votre histoire à fait naître. Et notre monde moderne en manque tellement, que je ne pourrais plus me regarder en face. Alors par pitié, ôtez-moi cette charge. Il doit y avoir un pistolet dans cette maison. Je vais partir et vous laissez le soin d’échapper à la police. On expliquera que c’est le chagrin de la perte de votre ami qui vous a poussé à agir ainsi. Et ainsi, l’histoire de la carte au trésor n’en sortira que plus forte encore.


Dernière édition par RipperReed le Mer 18 Mai 2016 - 20:01, édité 1 fois

RipperReed

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Message  Gregory Jeu 21 Avr 2016 - 21:43


J'ai trouvé la nouvelle de très bonne facture. Merci beaucoup de la poster sur le forum! Pas de longueurs et les deux CC ont des résolutions ingénieuses.  

Spoiler:
Gregory
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Message  meurdesoif Jeu 21 Avr 2016 - 22:35

Superbe histoire ! Ce n'est pas tous les jours qu'on peut lire une histoire avec deux mystères de CC convaincants et (pour ce que j'en sais) originaux. Le premier, en particulier, est magnifique, un chef-d'oeuvre de simplicité ! Comme quoi, après des milliers de MECC, on peut encore renouveler le problème !

meurdesoif

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Message  renato Ven 22 Avr 2016 - 14:21

Tout à fait d'accord avec les deux précédents commentaires.
Bien trouvé.
A quand la prochaine nouvelle ? Smile

renato

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